Deux fois par jour, pour remplir le golfe du Morbihan qui s'est en grande partie vidé ente deux marées, un fort courant de flot s'y engouffre par une passe étroite entre Locmariaquer et Port-Navalo. Cette puissante et tourbillonnante masse d'eau se disperse ensuite, butant contre divers obstacles qui s'opposent à sa furieuse et aveugle progression. En les contournant, elle recouvre les plateaux de roches, les parcs à huîtres, les vasières et les salicornes des marais salants, remonte les nombreux petits bras de mer et vient finalement mourir au pied des talus couverts de genêts et d'ajoncs d'or.
Ce subtil mariage de la mer et de la terre vibre à longueur de temps sous la lumière changeante d'un noir ciel d'orage ou à l'approche d'un grain par tempête d'ouest ou de noroît. Par temps de brume ou de calme plat, il y règne une étrange atmosphère sonore faite d'appels, de bruits de moteur de bateaux, de cris de goélands, de mouettes, de courlis, de battements d'ailes d'oies sauvages et de lourds cormorans.
Et au beau milieu de cette petite mer, ayant résisté aux assauts des courants, de très nombreuses îles émergent toujours, dont les deux plus importantes : l'Ile d’Arz, Enez Arh, à quelques coups d'aviron de sa voisine l’Ile-aux-Moines, Izenah, est appelée l'ile des capitaines.
Depuis bien des siècles, la grande majorité des îliens naviguaient sur des voiliers de commerce et pratiquaient le petit cabotage le Iong des côtes françaises, le cabotage international et le Iong cours sur les mers du monde entier. Ces marins au caractère bien trempé, de bonne renommée dans le milieu maritime, avaient au cours des siècles entrepris de financer eux-mêmes et armer une flottille de caboteurs d'une étonnante ampleur.
Subissant à bord de Ieurs petits bâtiments les éléments marins déchaînés et exposés en plus à d'autres dangers tout aussi redoutables en temps de guerre, ils vécurent de nombreuses et tragiques fortunes de mer. Fiers du passé maritime de Ieur île, turbulents, énergiques, passionnés par la mer et imbus d’indépendance, ils furent des partisans parfois fanatiques de la Révolution. Il faut dire que Ieur haine pour les Institutions religieuses et monarchiques de l’Ancien Régime n'avait fait que croître au cours des siècles par suite d'abus et d'avanies de toutes sortes.
Au milieu du XIXe siècle, la population, qui comptait alors 1200 habitants, n'était plus que de 650, un siècle plus tard. Toutefois, le nombre de capitaines et de marins était encore important au sein de cette petite communauté maritime mais a commencé à diminuer au milieu du siècle dernier. De nombreuses familles ont alors quitté l'île pour s’installer sur le continent et ainsi beaucoup de jeunes, évoluant désormais dans un milieu tout à fait différent, ont délaissé le métier de marins pour faire carrière à terre ! D'autres par contre, issus de très anciennes familles de l'île, ont renoué avec la tradition et naviguent désormais à bord des pétroliers, porte-conteneurs et remorqueurs de haute mer.
Même si de nombreux îliens d'origine reviennent passer Ieur retraite au pays de Ieurs ancêtres, de nos jours, les îliens ne sont guère plus de 240 à y vivre en permanence toute l'année, alors qu'à la belle saison et surtout à la période estivale, la population est multipliée par dix. Sans compter bien entendu les centaines de visiteurs à la journée, empruntant les sentiers côtiers, foulant le sable des petites plages, visitant le moulin à marée du XVIe, la belle église du XIe, classée monument historique, le Prieuré, le manoir de Kernoël qui vit la fin tragique du premier maire assassiné par les Chouans, et le petit musée consacré au riche patrimoine maritime de l'île des capitaines.
"Tu es belle toujours ô terre de nos pères.
Fini notre Iong cours sur les ondes amères.
Nous viendrons, fils aimants, couler nos derniers jours
Dans ton sein qui connut nos premiers amours."
Sur l'Ile d’ Arz, février 2022 Jean Bulot (Ancien commandant de remorqueurs de haute mer et de sauvetage)
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